Du beau naît...
Miriam Kilali, 42 ans, artiste allemande, s’est fixé une mission : aménager des foyers pour sans-logis de façon somptueuse. Après une première réalisation à Moscou, un foyer réhabilité comme un palais italien vient d’être inauguré à Berlin. Une façon pour Miriam Kilali de dissocier laideur et pauvreté, trop souvent scotchées l’une à l’autre.
Jürgen Roschner vient d’emménager dans un palais italien. Il a choisi la chambre du fond, dans l’aile vert pastel, et suspendu une image de l’océan au-dessus de son lit. Heureusement qu’il n’est pas grand, sinon il se cognerait dans le lustre. M. Roschner confie que, en tant que sans-abri, il aurait déjà été bien content rien que d’avoir un lit à lui.
M. Roschner a 62 ans. Il a été serrurier, puis grutier, puis plus rien du tout. Puis il s’est retrouvé dans la rue. Depuis quatre ans, il vit dans un refuge pour sans-abri à Schöneweide [dans le sud-est de la capitale allemande], là où le nouveau Berlin ressemble encore à s’y méprendre à l’ancien.
M. Roschner s’était habitué à vivre à l’ombre de la société. Cet homme mince, aux cheveux clairsemés soigneusement peignés, n’attendait plus grand-chose de la vie. Il a donc été plutôt surpris quand, au printemps 2007, une jeune femme s’est présentée à sa porte pour lui annoncer qu’il allait entrer dans la richesse.
Cette femme, qui venait de débarquer à Berlin-Est, s’appelle Miriam Kilali. Elle est artiste conceptuelle et ne roule pas sur l’or. En revanche, elle déborde d’idées. Pendant ses études, elle a travaillé dans un centre de soutien pour sans-abri. La désolation qu’elle y a rencontrée continue de la hanter, confie-t-elle. Elle a réfléchi un moment puis a décidé de transformer les foyers de sans-abri en belles demeures pour “rendre leur dignité” aux pensionnaires. Un projet hardi. Mais le plus surprenant, c’est qu’il semble fonctionner.
Cette habitante du quartier berlinois de Kreuzberg a érigé son premier palais social à Moscou il y a quatre ans. Baptisé Reichtum 1 [Richesse 1], le projet consistait à transformer en un temple somptueux l’hôtel Marfino, une carcasse de béton sinistre et couverte de moisissures qui héberge 80 sans-abri. Les résidents ont participé aux travaux. Deux d’entre eux ont même été tellement euphorisés par l’entreprise qu’ils ont trouvé du travail ensuite, raconte Miriam Kilali. Confortée dans son idée, l’artiste s’est immédiatement attaquée à un autre foyer, cette fois à Berlin.
Elle est rapidement parvenue à rallier à son projet la Diakonische Werk et les GEBEWO - Soziale Dienste [deux organisations caritatives]. Pour Reichtum 2, le choix s’est porté finalement sur la Haus Schöneweide, un bâtiment qui héberge 21 hommes, pour la plupart alcooliques et pour beaucoup gravement malades.
Miriam Kilali avait pour ambitieux objectif de faire de ce bâtiment de trois étages le “plus beau foyer de sans-abri au monde”. Pour ce faire, l’artiste et ses assistants se sont donné un an et demi. Ils ont posé des parquets, dressé des colonnes de plâtre empruntées à la Rome antique, peint les étages en vert pastel ou bleu ciel, la cage d’escalier en cramoisi, et accroché aux murs des tableaux dans des cadres baroques. Dans toute la maison, ils ont posé du papier peint et un galon doré. Les résidents n’ont pas eu voix au chapitre : après tout, confie Miriam Kilali, il s’agit d’une “grande œuvre d’art, où le concept d’ensemble doit rester visible”. L’artiste n’en est pas moins convaincue que les 100 000 euros de dons qu’elle a consacrés à ce projet berlinois ont été employés au mieux.
Elle avait pour objectif de redonner “joie de vivre et courage” à ces 21 hommes qui n’intéressent personne. En installant la richesse dans un foyer de sans-abri, elle pousse les gens à s’interroger sur le cliché du vagabond pauvre et impuissant. Dommage que, à l’extérieur, la société continue à passer devant eux en fronçant le nez et qu’il n’y ait pas de visite guidée de ce foyer artistique. Mais peut-être n’est-ce pas là la question.
Les résidents, eux, ont très vite pris leurs marques dans leur somptueux nouvel environnement, comme on a pu le voir lors de l’inauguration, le 17 novembre dernier. Depuis qu’il dort chaque soir sous la mer, Jürgen Roschner n’a “même plus envie de sortir”. “D’ailleurs, qu’est-ce que je ferais dehors ? ajoute-t-il. Rien n’a changé, là-bas.”
(Article tiré du Courrier international)